dissimulée dans ce que l'âme a de plus obscur et de plus intime ;
elle s'ouvre sur cette nuit originelle cosmique qui préfigurait l'âme
bien avant l'existence de la conscience du moi et qui la perpétuera
bien au-delà de ce qu'une conscience individuelle aura jamais atteint.
Car toute conscience du moi est éparse ;
elle distingue des faits isolés en procédant par séparation,
extraction et différenciation ;
seul est perçu ce qui peut entrer en rapport avec le moi.
La conscience du moi,
même quand elle effleure les nébuleuses les plus lointaines,
n'est faite que d'enclaves bien délimitées.
Toute conscience spécifie.
Par le rêve, en revanche, nous pénétrons dans l'être humain plus profond,
plus général, plus vrai, plus durable,
qui plonge encore dans le clair-obscur de la nuit originelle
où il était un tout et où le Tout était en lui,
au sein de la nature indifférenciée et impersonnalisée.
C'est de ces profondeurs, où l'universel s'unifie, que jaillit le rêve,
revêtirait-il même les apparences les plus puériles,
les plus grotesques, les plus immorales.
Il est d"une ingénuité fleurie et d'une véracité
qui font rougir de honte nos flagorneries autobiographiques.
Rien d'étonnant donc, à ce que, dans toutes les cultures antiques,
on ait discerné dans le rêve impressionnant,
dans le "grand rêve", un message des Dieux.
Ce devait être un privilège de notre rationalisme d'expliquer le rêve et sa constitution
par les seuls reliquats de la vie diurne, c'est-à-dire par les miettes
du plantureux festin de la vie consciente tombée dans les bas-fonds.
Comme si si ces profondeurs obscures n'étaient qu'un sac vide,
ne recelant jamais que ce qui y est tombé d'en haut !
Pourquoi oublie-t-on toujours qu'il n'y a rien de grand ni de beau
dans le vaste domaine de la culture humaine qui ne soit dû primitivement
à une soudaine et heureuse inspiration ?
Que deviendrait l'humanité si la source des inspirations tarissait ?
Le sac, ce serait bien plutôt au contraire la conscience,
qui ne contient jamais plus que ce qui vient à l'esprit.
C'est quand la pensée nous fuit et que nous la cherchons en vain
que nous mesurons combien nous dépendons de nos inspirations.
Le rêve n'est rien d'autre qu'une inspiration
qui nous vient de cette âme obscure et unificatrice.
Qu'y aurait-il de plus naturel, une fois que nous sommes perdus
dans les détails infinis et dans le labyrinthe de la surface du monde,
que de nous arrêter au rêve pour y rechercher les points de vue
susceptibles de nous ramener à nouveau
à proximité des faits fondamentaux de l'existence humaine ?
Mais nous nous heurtons ici aux préjugés les mieux enracinés :
"Songes, mensonges" dit-on, les rêves sont sans réalité,
ils mentent ou ne sont que des réalisations de désirs ;
voilà les échappatoires alléguées pour ne pas prendre les rêves au sérieux,
ce qui serait singulièrement incommode.
L'audace présomptueuse de la conscience aime le cloisonnement,
en dépit des inconvénients qu'il suscite ;
c'est pourquoi on est peu enclin à octroyer
quelque réalité à la vérité du rêve."
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C.G. Jung
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