Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre,
tel est le
sort des imbéciles.
Toute la vie d’un de ces infortunés ne suffirait pas
probablement
à lui permettre d’assimiler la moitié des notions
contradictoires
qui, pour une raison ou pour une autre,
lui sont
proposées en une semaine.
Oui, je sais que je suis presque seul à
dénoncer si violemment
ce crime organisé contre l’esprit.
(...)
La plus redoutable
des machines
est la machine à bourrer les crânes,
à liquéfier les
cerveaux.
Voilà longtemps que je le pense,
si notre espèce finit par disparaître
un jour de cette planète,
grâce à l'efficacité croissante des techniques de destruction,
ce n'est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction
et moins encore, bien entendu, l'indignation qu'elle inspire,
les représailles et les vengeances qu'elle suscite ;
ni la cruauté, ni la vengeance,
mais bien plutôt la docilité,
l'irresponsabilité de l'homme moderne,
son abjecte complaisance à toute volonté du collectif.
Les horreurs que nous venons de voir,
et celles pires que nous verrons
bientôt,
ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés,
des
insoumis, des indomptables, augmente dans le monde,
mais bien plutôt que
croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante,
le nombre des
obéissants, des dociles,
des hommes, qui, selon l'expression fameuse
de
l'avant-dernière guerre,
"ne cherchaient pas à comprendre".
.
Georges Bernanos
1944