Contrairement à la logique froide, qui depuis le Siècle des Lumières
et l'invention de la science moderne s'est séparée du cœur incertain
et a dépeuplé le monde des esprits,
l'intelligence au féminin a choisi de passer par la fiction,
l'imagination et la fabulation pour approcher au plus près la vérité.
Ainsi, elle épouse souplement les formes complexes du Réel pour les sentir,
les toucher, les mémoriser, les anticiper, les chanter, les enchanter.
Elle est naturellement dans le Tao.
Elle danse la vie.
Avec son expérience, elle en pressent le mouvement,
saisit d'où elle vient et où elle va,
et l'on nomme souvent cette étrange faculté intuition.
Cette intelligence-là ne pense pas
que le plus court chemin entre deux points soit la ligne droite,
elle coule et se coule, elle vaque, elle serpente;
aucun détour ne lui échappe, aucune particularité ne la déroute.
Elle pense en même temps le tout et la partie, elle patiente et prend son temps ;
elle n'a pas peur de l'éternité, du recommencement, de la répétition, de l'erreur,
pas plus que du mystère qu'elle laisse exister.
Elle ne craint pas de prendre le chemin des écoliers ;
elle ne s'ennuie jamais car pour elle, tout est toujours nouveau ;
elle s'est faite disciple de la vie.
On comprend aisément qu'elle puisse inquiéter
la logique masculine et abstraite
qui choisit la distance et l'analyse et ne veut en aucun cas
épouser les obscurités et les incertitudes,
et qui se passionne pour l'efficacité et la certitude.
Etrange pertinence de cette intelligence qui n'est efficace
que lorsqu'elle aime (alors que la logique formelle n'a que faire de l'amour)
et qui déraille, c'est vrai, lorsqu'elle est dans le pouvoir et dans les affres du refus
.
Sa logique travaille avec le paradoxe : paradoxe du cœur,
car c'est avec le manque, l'obscurité et le mystère qu'elle fait route.
(...)
Jean Ferrat chante inspiré par Aragon : "La femme est l'avenir de l'homme"
Je dirais plutôt que le féminin est l'avenir du masculin (...)
Mais le plus souvent, ce féminin salvateur ne se voit pas.
Lorsqu'il est absent du paysage, tout se dessèche,
s'appauvrit et se craquelle, tout se désertifie.
L'humain livré aux excès ne se ressemble plus, les choses déraillent,
tout va de travers, un désespoir saisit le cœur.
On se rend compte qu'il manque quelque chose...mais quoi ?
Mais lorsqu'il est présent, ce féminin subtil, sans que l'on voie très bien pourquoi,
les choses vont bien, "ça roule", comme on dit,
les personnes sont ouvertes et bienveillantes, les communications aisées,
et du coup les difficultés se résolvent les unes après les autres.
Tout devient fluide. les éléments les plus complexes s'harmonisent et se complètent,
un optimisme tranquille apparaît.
Subtilement, les rouages sont bien huilés et ronronnent.
Fabuleux féminin.
Sa langue est poétique, et sa saisie du Réel, inspirée.
Elle a soufflé dans la parole des Prophètes.
Elle fait bon ménage avec le génie.
Même bafouée, trahie, récupérée, prostituée, bannie et calomniée,
elle fait bonne compagnie avec la joie.
Envers et contre tout et surtout dans les lieux et les moments les plus sombres
(Etty Hillesum prisonnière dans un camp de mort en est témoin)
au mépris de toute logique, elle célèbre le bonheur d'être vivant.
Quel bonheur, quelle délivrance de retrouver la liberté insensée de son cœur !
.
Lily Jattiot
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