Vladimir Mau, conseiller de Boris Eltsine au cours de cette période,
expliqua que « la condition la plus favorable à la réforme »
est « une
population en proie à la lassitude,
épuisée par ses luttes politiques
antérieures.
[...]
C’est pourquoi le gouvernement, à l’aube de la
libéralisation des prix,
était certain qu’un grave affrontement social
était impossible,
qu’il ne risquait pas d’être renversé par un
soulèvement populaire ».
La vaste majorité des russes - 70% - s’opposait
à la libéralisation des prix,
ajouta-t-il, mais « nous voyions bien que
les gens, autrefois comme maintenant,
se préoccupaient surtout du
rendement de leurs jardins potagers
et, de façon plus générale, de leur
situation économique personnelle ».
Joseph Stiglitz, qui était à cette époque économiste en chef à la
banque mondiale,
résume bien la mentalité des apôtres de la thérapie de
choc.
Les métaphores qu’il emploie devraient à présent être familières :
« Seule une attaque éclair lancée pendant la « conjoncture favorable »
créée par le « brouillard de la transition »
permet d’apporter les
changements
avant que la population n’ait eu le temps de s’organiser
pour protéger ses intérêts. »
En d’autres termes, la stratégie du choc.
.
Qu’en est-il, cela étant, de la croisade menée pour la libération des
marchés ?
On n’a jamais qualifié de crimes capitalistes les coups
d’État,
les guerres et les massacres qui avaient pour but
d’installer et
de maintenir en place des régimes favorables à la libre entreprise.
Pour les expliquer, on invoque plutôt les excès de dictateurs trop zélés
ou les « fronts chauds » de la Guerre froide
et, aujourd’hui, de la
guerre contre le terrorisme.
Quand les plus fervents opposants sont
éliminés systématiquement,
comme ils l’ont été en Argentine dans les
années 1970
et comme ils le sont à présent en Irak,
on fait allusion au
sale boulot que suppose
la lutte contre le communisme ou le terrorisme
-
et presque jamais à la lutte
en faveur de l’avancement du capitalisme à
l’état pur.
.
Naomi Klein
"La stratégie du choc"
.